Protéger et faire connaître la forêt de Fontainebleau
Thumbnail

Fonds documentaire

Histoire : une forêt en partage

Histoire : une forêt en partage

1. Le temps des chasses

La forêt de Bière est un territoire dévolu aux chasses royales depuis le XIe siècle. Les souverains font bâtir un relais de chasse, puis un château à partir de François 1er (1527) afin de venir chasser « les bêtes rousses et noires » qui abondent en forêt.

À cette époque, le domaine royal n’est pas totalement boisé, loin s’en faut. Il faut d’ailleurs rappeler que le mot « forêt » vient du latin médiéval forestis (de forum « tribunal »), mot employé pour parler d’une forêt relevant de la justice du roi, puis d’un territoire dont le roi se réserve la jouissance. L’exercice d’un droit exclusif de chasse sur ses terres, permet au roi d’asseoir sa conception absolutiste de la monarchie. La chasse à courre devient un délassement royal qui se développe à la cour de France tout au long de l’Ancien Régime : elle est liée au métier de roi, qui doit d’y adonner 2 ou 3 fois par semaine, et même quotidiennement, lorsque le souverain séjourne à Fontainebleau dans ce but précis. La chasse à courre nécessite la création d’équipages qui mobilisent des effectifs nombreux : un tiers des officiers de Louis XIV ont un rapport avec la chasse, traque du gibier ou monte des chevaux. Au fil des saisons, on chasse le cerf (printemps, automne), le sanglier (hiver), alors que les animaux ont quelque répit pendant l’été.

Les chasseurs poursuivent le gibier à travers les hautes futaies, les bois clairsemés, les vastes landes, où ils peuvent, facilement chevaucher. A partir du XVIe siècle, on commence à percer des routes, afin de permettre aux dames de la Cour de suivre les chasses dans leurs voitures à chevaux. Sous Henri IV, on trace la route Ronde qui relie la Table du Roi à Thomery, au bout d’un parcours de vingt- six kilomètres, en contournant Fontainebleau. Après 1679, de nouvelles allées sont percées pour la chasse à courre, peu à peu complété jusqu’à la Révolution pour aboutir au maillage actuel de la forêt, avec plus de mille kilomètres d’allées en plaine, ou même à travers les reliefs (cavalières). Des allées conduisent au point de ralliement, marqué d’une croix, d’où partent des voies en étoile qui permettent de se lancer à la poursuivre du gibier, lorsqu’il a été repéré.

2. L’heure des forestiers

La chasse étant prioritaire, on peut comprendre que l’état du boisement de la forêt de Fontainebleau ait longtemps été médiocre, en dépit d’efforts pour y remédier, comme les ordonnances de « réformation générale des forêts ». À l’époque de Louis XIV, moins de 50 % de la superficie est boisée. Colbert lance une « réformation de la forêt de Bière » en 1664 : il précise les droits de pacage du bétail en forêt pour les 17 paroisses riveraines et prévoit et des chantiers de plantations avec un entreillagement des parcelles.

En 1716, M. de la Faluère, grand maître des Eaux et forêts pour l’Ile-de-France, évalue la forêt de Fontainebleau à 26 264 arpents (13 395 hectares), mais les bois n’occupent que 7 103 hectares, soit un peu plus de la moitié de la superficie totale (53 %). Le reste (6 290 hectares) est constitué de « rochers et vides » souvent impropres à la plantation. La forêt de Bière est alors composée de trois ou quatre massifs boisés, isolés au milieu de vastes landes, plantées de bruyères, de genévriers et de bouleaux : au nord (de la Table du Roi à la Belle Croix, Gros Fouteau, la Tillaie), et surtout au sud (Grands Feuillards, Erables et Déluge).

Afin de remédier à cette situation, les réformations de 1716 (de la Faluère) et de 1754 (Duvaucel) prévoient d’importants travaux de plantations de feuillus (chênes, charmes, bouleaux). De 1720 à 1794, environ 5 450 hectares furent plantés à la cadence de 74 hectares par an et 2 800 hectares de 1802 à 1830, à la cadence de 100 hectares par an. Même si une partie de ces plantations n’a pas survécu, on peut estimer que les peuplements feuillus reconstitués artificiellement s’étendent sur 5 000 à 6 000 hectares (Gérard Tendron).

Au début du XIXe siècle, les landes occupent encore près du quart de la superficie de la forêt, mais les conditions des réformes se mettent en place. En 1801, une administration forestière autonome est créée, puis une Ecole royale forestière voit le jour en 1824 à Nancy.

Les agents qui en sortent sont à l’origine de la « révolution forestière » qui se met en marche dans trois directions :

  • Combler les « vides » (landes et rochers). Entre 1830 et 1847, l’Inspecteur des Eaux et forêts Achille Marrier de Bois d’Hyver, fait en planter 5 408 hectares en résineux, essentiellement des pins sylvestres, auxquels il faut ajouter quelques cyprès chauves, des cèdres du Liban et des pins Weymouth. Ces essences réussissent car elles sont bien adaptées aux sols siliceux de Fontainebleau. En 1853, les landes n’occupent plus que 650 hectares sur les 15 961 hectares de forêt boisée, les résineux représentent un quart des essences et leur nombre ne cessera d’augmenter au grand dam de leurs détracteurs jusqu’à représenter actuellement 40 % des peuplements.
  • Développer les futaies avec des coupes régulières prévues par un plan d’aménagement (le premier date de 1853).
  • Limiter les droits d’usages, surtout le pacage des troupeaux communaux.

3. L’irruption des usagers

Les citadins ont peur de la forêt – comme de la montagne – jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, à l’exception des chasseurs, des forestiers, des carriers et des scientifiques… Ils la traversent en observant les « affreux rochers » ou les bois dans lesquels ils n’osaient pénétrer, car ils étaient censés abriter des créatures malfaisantes ou des revenants, comme le Chasseur noir.
Dans ce contexte, les scientifiques – forts de leur savoir – font figure de précurseurs, lorsqu’ils viennent herboriser en forêt ou étudier les rochers en rejetant l’hypothèse d’un quelconque déluge biblique au début du XIXe siècle. Puis ce sont les artistes et les écrivains qui se pressent à Fontainebleau, afin d’y trouver une prétendue « nature sauvage ». Au moment où la révolution industrielle vise à domestiquer la nature pour la mettre au service de l’homme, ces découvreurs rêvent de trouver à Fontainebleau une nature préservée de tout impact humain. Après 1830, la forêt devient alors un objet culturel pour les romantiques souffrant du « mal du siècle », tout comme Senancour quelques années plus tôt Son roman autobiographique Oberman de 1804 est réédité en 1830. A Barbizon, l’Auberge Ganne accueille des peintres paysagistes venus peindre en forêt « sur le motif », dans une forêt qui stimule leur imagination, avec ses crêtes chaotiques, ses futaies profondes ou ses landes désertiques.

Les touristes, citadins en mal de dépaysement, s’engouffrent bientôt dans la brèche ouverte par les élites culturelles, lorsque le chemin de fer leur permet de faire l’aller-retour Paris-Fontainebleau dans la journée en 1849. Ils se pressent au château, puis en forêt où ils peuvent facilement pénétrer en voitures à chevaux grâce aux routes tracées pour la chasse et où l’administration forestière fait placer des plaques indicatives après 1830.

Claude-François Denecourt (1788-1875) prend conscience du parti qu’il pourrait tirer de cette nouvelle situation et invente le tourisme en forêt. Après avoir créé un Guide du voyageur dans la forêt de Fontainebleau (1839), il entreprend de tracer des chemins pédestres en forêt, puis il les balise avec de grosses flèches bleues tracées sur les arbres ou les rochers. Denecourt a aussi l’idée d’aménager des attractions le long de ses promenades, sans hésiter à transformer la nature (passages, grottes, fontaines, tour d’observation). Des buvettes, des restaurants et un hippodrome suivront.

Les peintres paysagistes de l’école de Barbizon entendent avoir un droit de regard, sur une forêt. Emmenés par Théodore Rousseau, ils critiquent les plantations de résineux, les accusant de dénaturer les paysages, et ils s’opposent à des coupes de régénération projetées dans les vielles futaies en 1837 ainsi que les plantations de résineux.

Le pouvoir politique doit arbitrer ces différents d’une manière qui va rendre la forêt de Fontainebleau singulière :

  • Les pins tolérés et leur emprise ne va cesser de s’étendre…
  • Les coupes de feuillus suspendues dans certains cantons appréciés des artistes.

Des « sanctuaires de la nature » sont soustraits à l’action des forestiers : 624 ha en 1853 (Bas Bréau, Cuvier Châtillon, Franchard, Apremont, la Solle, Mont Chauvet), puis le décret impérial du 13 avril 1861 créé la « Série artistique » appelée communément « réserves artistiques » sur 1 097 ha. Cette Série artistique devient la « 21e série » en 1892 sur 1 693 ha et passe à 1 693 ha dans l’aménagement de 1904.

L’emprise des groupes de pression sur la forêt s’est traduite par des aménagements maintenant des peuplements irréguliers dont la variété, l’aspect pittoresque et le cachet esthétique « sont la principale cause de sa célébrité » (Aménagement Duchaufour, 1903). La mise en œuvre de cet aménagement s’est traduite par un vieillissement généralisé des peuplements de feuillus.

Partager sur :

Nous utilisons des cookies pour vous offrir la meilleure expérience en ligne. En acceptant, vous acceptez l'utilisation de cookies conformément à notre politique de confidentialité des cookies.

Privacy Settings saved!
Paramètres de confidentialité

Lorsque vous visitez un site Web, il peut stocker ou récupérer des informations sur votre navigateur, principalement sous la forme de cookies. Contrôlez vos services de cookies personnels ici.

Veuillez noter que les cookies essentiels sont indispensables au fonctionnement du site, et qu’ils ne peuvent pas être désactivés.

Pour utiliser ce site Web, nous utilisons les cookies suivant qui sont techniquement nécessaires
  • wordpress_test_cookie
  • wordpress_logged_in_
  • wordpress_sec

Refuser tous les services
Accepter tous les services